À la recherche de matière noire au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN
For my English-speaking readership, I have started to catch up and work out the missing French adaptation of my blogs. I focus today on this blog of two weeks ago in which I discuss one of my recent research works on minimal and non-minimal dark matter models.
Après quasi trois semaines d’absence, me revoilà avec quelques posts en français (et un COVID car c’est gratuit). Aujourd’hui, je vais me concentrer sur l’un des secrets les plus sombres de l’univers, à savoir la matière noire.
La matière noire est souvent l’une des grandes motivations justifiant les balades au-delà du Modèle Standard de la physique des particules. Par conséquent, elle est traquée presqu’autant qu’un électeur français indécis ces jours-ci, comme illustré dans ce blog. En effet, tout y passe : des rayons cosmiques (observations via des satellites) aux expériences de détection directe (des gros jeux de billards entre de la matière visible et de la matière noire), sans oublier les collisionneurs (production directe dans des collisions à haute énergie).
Ce blog est dédié à cette dernière option, et plus particulièrement sur les meilleures façon de modéliser la production de matière noire au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN (le LHC). Comme d’habitude, il est possible de lire uniquement la première et la dernière partie de ce blog pour aller plus vite, ou bien de prendre son temps et de tout lire tranquillement.
Mais en quoi modéliser un signal de matière noire au LHC est-il important ? La raison est simple : une bonne modélisation permet de concevoir la meilleure stratégie de recherche dans les données, et d’obtenir les conclusions les plus solides. Mais voilà, la vie est assez cruelle… Nous n’avons aucune idée de ce qu’est la matière noire. Les physiciens se sont par conséquent défoulés, et nous voilà avec des centaines de modèles et de théories. Il est clair qu’on ne peut pas simuler tous ces signaux. Il y en a juste trop.
Pour cette raison, on considère des modèles simplifiés minimaux qui mettent en place une modification aussi mineure que possible du Modèle Standard, et qui permettent de produire des particules de matière noire au LHC. Ces modèles ont un énorme avantage : ils ont peu de paramètres libres, peu de nouvelles particules, mais attention. Ils sont cependant suffisants pour décrire tout un tas de signaux de matière noire. En un modèle, on a ainsi une connection avec de nombreuses théories complètes (parmi la centaine mentionnée ci-dessus).
C’est vraiment un ‘d’une pierre deux coups’ !
[Crédits: Image originale de l’ESA/NASA (CC BY 4.0)]
Mais voilà, plusieurs groupes de chercheurs ont montré récemment que les modèles simplifiés minimaux étaient trop simplifiés, ou trop minimaux si on veut. Donc en gros, le minimalisme c’est bien, mais c’est mal. Ça s’annonce compliqué…
Dans ce blog, je vais parler de l’un des mes travaux de recherche récents. Avec mes collaborateurs, nous avons essayé de mettre sur pied une stratégie systématique suivant une trajectoire non-minimale pour les modèles de matière noire. Cela nous a mené à des considérations importantes qui n’étaient pas du tout exploitées dans le cas minimal, et qui permettront d’affiner l’exploitation future des recherches de matière noire au LHC.
À présent, assez blablaté. Dans la suite de ce post, je vais commencer par un petit résumé sur ce qu’est la matière noire, et pourquoi c’est quelque chose de cool et d’intéressant (si si ça l’est !). Ensuite, on parlera de modélisation, minimale et non-minimale, et je montrerai quelques résultats de mon article.
De la matière noire ? Pour vrai ?
L’idée de matière noire n’est pas vieille comme le monde, mais presque. Il y a environ 100 ans, un physicien suisse nommé Zwicky a étudié le mouvement de rotation des étoiles dans les galaxies, et a voulu vérifier qu’il était en accord avec les lois de la gravitation. Malheureusement, ce n’était pas le cas.
Les courbes de rotation des galaxies montrent que les étoiles éloignées des centres galactiques tournent trop vite. Pour expliquer cela, Zwicky a postulé l’existence de matière invisible interagissant gravitationellement. Paf! La matière noire était née. Quelques décennies plus tard, Rubin a confirmé cette possibilité de façon plus solide.
[Crédits: Pablo Carlos Budassi (CC BY-SA 3.0)]
Au fur et à mesure de l’histoire, notre compréhension de la cosmologie s’est raffinée (et cela a donné le modèle standard de la cosmologie). Dans les années 1960, on a observé des signes d’un fond diffus cosmologique. Dans le modèle standard de la cosmologie, les atomes se sont formés 380,000 ans après le Big Bang. À ce moment, l’univers est passé d’un contenu électriquement chargé à un contenu électriquement neutre.
La lumière, qui interagit abondamment avec ce qui est chargé, a tout à coup eu la possibilité de voyager sur de grandes distances sans encombre. Et elle l’a fait. La lumière de cette époque est toujours mesurable aujourd’hui. C’est ce que nous appelons le fond diffus cosmologique, et cela contient l’empreinte de notre univers quand il était jeune et fringuant (à 380,000 ans, l’univers était encore très jeune).
On peut extraire tout un tas d’information de cette empreinte, comme le fait qu’il nous faut une certaine quantité de matière noire (voir ici). Mais cela ne s’arrête pas là. On peut parler de la formation des structures dans l’univers (galaxies, amas de galaxies, super-amas de galaxies) ou de lentilles gravitationnelles. Tout semble pointer vers l’existence de matière noire (en tous les cas, dans le cadre de la cosmologie standard) !
Mais nous n’avons pas la moindre idée de ce qu’est la matière noire (mon fils vote pour une licorne rose à trois yeux). Par conséquent, les recherches de matière noire doivent être aussi générales que possible, afin d’être parées à toute éventualité. Dans la suite, nous nous concentrerons sur les recherches de matière noire au LHC.
[Crédits: CERN]
Matière noire et collisionneurs de particules
Avant d’aller plus loin, commençons par l’une ou l’autre hypothèse. Nous allons ainsi supposer qu’il existe une particule de matière noire, et que cette particule interagit avec le Modèle Standard. Ce sont les conditions nécessaires pour pouvoir produire de la matière noire aux collisionneurs de particules. Sinon, en fait, on peut s’arrêter là et rentrer chez nous.
En collisionneurs, les particules sont accélérées à des vitesses très importantes, de sorte qu’elles ont beaucoup d’énergie cinétique. Cette grosse quantité d’énergie peut alors, lors d’une collision, être convertie en énergie de masse pour produire de nouvelles particules (comme de la matière noire par exemple). En physique, on rappelle que l’énergie est conservée dans tout processus. Cependant, rien n’empêche l’énergie d’être convertie d’une forme à l’autre.
Mais une fois produites, comment observer des particules de matière noire ? L’une de leur signature typique est illustrée par l’image ci-dessous.
[Crédits: CERN]
La stratégie adoptée découle des principes de conservation de l’énergie et de l’impulsion, et du fait que la matière noire interagit très peu. Ainsi, une fois produite, la matière traverse les détecteurs des expériences sans y laisse la moindre trace. Il nous faut donc être capable d’observer quelque chose d’invisible, ce qui est seulement possible grâce à la conservation de l’énergie et de l’impulsion. Regardons cela sur l’exemple de la figure ci-dessus.
Avant la collision, toute l’énergie et toutes les impulsions sont alignées le long de l’axe de la collision. En effet, avant la collision, on a juste deux faisceaux qui foncent l’un vers l’autre. Le plan transverse aux faisceaux est donc vide de toutes particules. L’observation de l’état final se fait par contre dans ce plan transverse. On peut donc effectuer un bilan énergétique et vérifier qu’impulsions et énergies transverses se compensent après la collision.
Dans la figure ci-dessus, on peut voir des dépôts énergétiques en rouge et bleu, et des traces de particules en vert. On peut faire les calculs, et se rendre compte qu’il y a des bidules invisibles qui quittent le détecteur ni vus ni connus. Il s’agit de la grosse flèche rouge sur la figure. Ces particules peuvent être par exemple des neutrinos du Modèle Standard, ou de façon plus exotique de la matière noire.
Toute cette discussion nous permet de définir ce qu’est un signal de matière noire en collisionneur. Il nous faut une collision contenant une grande quantité d’énergie manquante produite en association avec des particules visibles. Mais comment modéliser ce signal ?
[Crédits: CERN]
Modèles minimaux et non-minimaux de matière noire
Comme indiqué ci-dessus, il nous faut réduire la quantité de modèles de matière noire compliqués existants à un petit nombre de modèles plus simples à étudier. C’est une question de ressources, tout simplement. On ne peut se permettre de simuler trois milliards de modèles et de les tester individuellement. C’est pour cette raison que les modèles simplifiés (ou minimaux) ont vu le jour.
On les construit assez simplement.
- On part du Modèle Standard et on n’y touche pas (facile).
- On ajoute une particule de matière noire et on la rend stable par l’ajout de l’une ou l’autre symétrie (la matière noire doit être stable, sinon on n’en aurait plus dans l’univers aujourd’hui).
- On connecte la matière noire au Modèle Standard via des interactions avec un médiateur (la connection directe, c’est interdit car cela rendrait la matière noire instable).
Et voilà, c’est tout. On a un modèle minimal contenant deux nouvelles particules et quelques nouvelles interactions. Pour le LHC, la possibilité la plus attrayante est quand le médiateur interagit avec un quark. La signature de la matière noire est alors une signature mono-jet : la matière noire est produite en association avec un quark très énergétique. Cela nous donne une observation d’un jet de particules fortement interagissantes produit avec de l’énergie manquante (voir ici pour une définition plus précise de ce jet).
On va alors pouvoir tester ce signal dans les données et dériver des contraintes sur le modèle minimal. Ensuite, on aura juste à réinterpréter les résultats dans le cadre des centaines de théories existant sur le marché.
Mais voilà, ces modèles minimaux pourraient ignorer certains signaux de matière noire prédits dans les modèles complets. De plus, parfois ils sont théoriquement inconsistants (par leur nature incomplète).
[Crédits: NASA/ESA (CC BY 2.0)]
Avec mes collaborateurs, nous nous sommes penchés sur ce problème au travers d’un exemple. Nous avons considéré un modèle minimal dans lequel la matière noire se connecte au Modèle Standard via un grand frère du boson de Higgs (le même, mais en plus massif). Pour commencer, on a rendu ce modèle consistant théoriquement.
Cela a naturellement mené à l’existence de plusieurs médiateurs, chacun ayant un nombre réduit d’interactions. Cette toute petite modification se trouve être suffisante pour reproduire le côté sombre de nombreux modèles complets de matière noire de façon très satisfaisante. Les implications pour le LHC sont alors assez amusantes. Non seulement nous avons un signal de type mono-jet, mais nous avons également un second signal de type mono-Higgs (production de matière noire avec un boson de Higgs unique), et un troisième signal où la matière noire est produite avec des quarks top.
Il existe une complémentarité entre ces trois signaux pour sonder les modèles, comme illustré dans la figure ci-dessous. Cela permet d’avoir une stratégie de recherche plus efficace, vu qu’on ne se concentre pas que sur l’aspect mono-jet comme dans le cadre minimal.
[Crédits: arXiv:2110.15391]
Dans cette figure, on varie la masse du plus léger des médiateurs (axe X) et fixe la masse de toutes les autres nouvelles particules (c’est un exemple permettant de simplifier la discussion de ce blog). Ensuite, on varie le couplage entre le médiateur et la matière noire (l’axe Y).
Ensuite, commençons par la courbe en vert fluo qui brille la nuit. En dessous de cette courbe, nous n’avons pas assez de matière noire dans l’univers (ce qui n’est pas un gros problème en soi). Par contre, au-dessus c’est exclu car nous aurions trop de matière noire. De plus, les points en vert foncé sont ceux où le modèle est en bon accord avec la non-observation de matière noire dans les rayons cosmiques. Ces points en vert foncé sont donc ceux à tester autant que possible, vu que très motivés cosmologiquement parlant !
Deuxièmement, les contours en rouge, bleu et gris représentent les configurations des paramètres du modèle exclues par le LHC. En gris, c’est ce qui est exclu par l’absence de signal de mono-jet dans les données. Ça c’est le modèle simplifié. Mais ici, notre modèle est non-minimal et il y a donc plus de choses à faire. En rouge, c’est ce qui est exclu par l’absence de signal mono-Higgs dans les données, et en bleu l’absence de signe de production de matière noire avec des quarks top.
On peut voir que les différentes sondes de matière noire sont complémentaires les unes aux autres, car elles se concentrent sur des parties différentes de la figure. De plus, quelques scénarios très intéressants (en vert foncé) sont déjà testés par les données actuelles (grâce aux sondes mono-Higgs). Ainsi, on peut ainsi déjà obtenir des indices sur ce que la matière noire peut ou ne peut pas être, contrairement à ce que les études des modèles minimaux (en gris) pourrait laisser penser.
Un petit résumé avant l’apéro
Dans ce blog, j’ai discuté de signaux de matière noire aux collisionneurs de particules comme le LHC du CERN. En général, les stratégies d’analyse se basent sur des modèles minimaux prédisant un signal de matière noire bien précis. Mais voilà, bien que censés représenter des tas de modèles complets de matière noire d’un seul coup, ces modèles simplifiés se trouvent être trop simples d’une part, et théoriquement inconsistants d’autre part.
Avec mes collaborateurs, nous avons attaqué ce problème et étudié ce qu’il se passait lorsque l’on rendait un modèle simplifié donné théoriquement consistant. Le truc le plus amusant que nous avons trouvé est que la signature de la matière noire au LHC n’est plus unique comme dans les modèles minimaux. Plusieurs signaux peuvent être à présent utilisés, et ils apportent chacun des informations complémentaires sur ce qui est permis par les données et ce qui ne l’est pas. Nous avons donc des nouveaux moyens, complémentaires les uns les autres, pour nous permettre de comprendre ce que la matière noire peut être (ou pas) à l’aide des données du LHC.
Bref (comme si je connaissais ce mot…), ça suffit pour aujourd’hui. Je m’arrête là, et vous dis à tout bientôt pour un nouveau blog de physique des particules (ce week-end ?). N’hésitez pas à faire coucou en commentaire. J’y accepte toute critique, question, ou remarque avec plaisir ! A bientôt !
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What you said is totally accurate. Knowledge has significantly improved over the last hundred years. However, we are still far from understanding deeply how the universe works. Even with our currenet understanding, anomalies lie all over the place. The path in front of us is thus still quite long (which is good, as this means that we have still a lot to learn and that the story is not over).
Cheers!
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